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Ce jour-là, près de la source, Dieu sait ce que tu m’as dit.

La semaine dernière, à l’occasion d’une représentation théâtrale de rue, nous devions -si possible- jouer avec le public. Quelques questions de mon texte étant simples, je me hasardais à les poser avec la légèreté d’une abeille sur des fleurs :
« Quel âge avez-vous ? », l’homme, surpris, ne me répondit pas.
– Que préférez-vous chez une femme ? », m’adressant à une spectatrice. À nouveau le silence. Chez un homme ? J’insistais donc, j’entrevis la panique dans son regard.
– Quels sont vos héros de la réalité préférés ? Et l’enfant que je regardais me répondit aussitôt: Mon père!.
« Mon père » est arrivé sur notre scène avec une telle puissance que je n’eus plus qu’à accueillir tout ce qu’il offrait : notre décor de carton-pâte prit soudain des allures d’Odéon, notre maigre chant devint un hymne d’amour filial et nos personnages de bois se teintèrent de chair et de sang.
Ce qui n’était qu’un jeu devint soudain la réalité.
Alors je me suis arrêtée un moment devant ce grand maître du temps, cet enfant qui bien que déjà âgé d’une quinzaine d’années, savait encore attraper la queue du Mickey quand elle passait devant lui. Et je me suis inclinée.

J’appelle depuis toujours ces instantanés de vie, la queue du Mickey. Quand les enfants étaient petits, et que je regardais souvent tourner les manèges, j’étais fascinée par leurs différentes attitudes : ceux concentrés sur leur volant se rêvant déjà grands, ceux -la larme à l’œil- cherchant désespérément le regard de Maman à en avoir le tournis, ceux que le Mickey caressait et qui n’esquissaient pas le moindre geste et enfin ceux, rapides comme l’éclair qui, quand la peluche passait à portée, s’en saisissaient en laissant éclater leur joie.
La queue du Mickey, c’est un temps volé à la durée, une sorte de temps hors du temps, un simple geste à l’intérieur de la roue qui tourne, qui tourne. C’est un temps cadeau. C’est le Kairos.
Les grecs qui savaient comme personne nommer les choses, l’avaient fait Dieu sous ce nom-là: le Kairos, c’est le Dieu de l’occasion. Avec sa grosse touffe de cheveux frisés devant et son crâne chauve à l’arrière, il représente l’instant à saisir, si vite passé, fugitif. J’aime l’idée de l’instant fugitif, celui qui plus jamais ne se fera prendre dans les rets du temps, foi de voyou, et qui se faufile déjà ailleurs, léger comme l’air.
C’est un moment essentiel, soumis au hasard, mais lié à l’absolu.
Le Kairos est une seconde d’éternité. Le Kairos est un temps visité par Dieu.

En tant qu’artiste, c’est ce temps aujourd’hui que je cherche à saisir. Il faut beaucoup travailler, il faut être concentré et en même temps il faut savoir l’accueillir quand il vient. Le Kairos est destiné à celui qui sait. Qui sait quoi ? Que l’instant est fragile, que l’instant c’est maintenant. Si tu ne l’attrapes pas, il sera comme beaucoup de nos fils qui dorment quelque part sous cette terre, porté disparu, à jamais. Et tous ces instants perdus que l’on porte au creux des yeux, alourdissent une vie bien plus que toutes les pierres des rivières.

Platon nous enseignait :”Jamais l’artiste ne doit quitter sa tâche, sous peine de laisser passer le Kairos et de voir son oeuvre gâchée”. Hovhannès Haroutiounian, le peintre qui a illustré avec talent mes deux premiers livres, me disait récemment : « Quand je peins, je travaille pendant des heures et quand tout à coup je chante, là je sais que c’est là, qu’il ne faut pas laisser passer le moment, qu’il faut l’attraper comme un rayon de soleil au creux de sa paume. »

C’est sans doute cette seconde-là que je voulais ce matin, partager avec vous.

Avec toute ma fugacité,

2 Réponses
  • CAPOCCI-BRUNEAU Odile
    septembre 18, 2017

    Rien qu’en lisant le titre de ce dernier ouvrage, il vous incite a sa découverte…il vous invite a chercher ce que vous apporte la nature, la réflexion sur sa propre vie, son histoire personnelle (chaque être est riche de son passé, de ses racines qui aident a sa construction). Il faut savoir lire, écouter, échanger, découvrir tout ce qui nous entoure.t
    Je te reconnais bien là, Isabelle, toi qui a cherche ton passé et qui se tourne vers les autres….. cette soif de rencontre….

    • Momig
      septembre 19, 2017

      Chaque rencontre est une fête. Que la fête dure longtemps!!

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