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Le chant d’aujourd’hui – Un certain mois de juin, à Paris (Rhapsodie 4)

La chaleur annoncée est là : les abeilles créent un tourbillon incessant devant leurs ruches, les fleurs sont écarlates, le potager joyeux et inquiet. On le sait, depuis quelques années maintenant, des pluies tropicales s’abattent sur nos têtes et remplissent nos cuves et nos arrosoirs en quelques minutes violentes. Douceur et humidité se conjuguent, rendant belle notre herbe et fous mes cheveux sensibles.
La moiteur qui me vrillait les tempes depuis ce matin vient de se déchirer; la nuit d’un coup est tombée et l’orage que j’entendais au loin frappe tambour maintenant au dessus de ma tête. Des trombes de pluie s’abattent sur la haie de seringua aux fleurs délicates, les grands arbres de la forêt semblent pris de folie : transformés en marionnettes, ils balayent le ciel noir zébré d’éclairs sous les assauts du vent.
Nous sommes rentrées à temps avec Perle, à temps pour être simples spectatrices de ce déluge projeté devant nos fenêtres par seaux entiers dans la main d’un géant.

Auprès de mon arbre, je vivais heureux.

Dernier jour de ce mois de septembre que j’aime tant. La lumière est magnifique en ce début d’automne, elle joue tout autant entre les feuilles encore vertes qu’avec celles déjà parées des feux du couchant.
Depuis un mois, j’explore plusieurs fois par jour la magnifique forêt qui borde ma maison. Je n’y étais plus allée depuis la terrible morsure du chien fou au maître ivre mort. 10 ans déjà. Années de terreur, de panique, au moindre aboiement, à l’idée même d’une possible rencontre.

C’est Perle qui m’a ramené vers les arbres sauvages. Cette petite boule d’amour, haute comme trois châtaignes, me redonne confiance. Elle sait comment s’y prendre avec ses congénères. C’est vers elle qu’ils vont désormais, petit bonjour du museau, jeux à perdre haleine si le compagnon s’avère jeune et joyeux, petit coup de dent si les choses tournent mal. La plupart passent simplement leur chemin,

J’aime quand l’hiver ressemble à l’hiver…

L’aube se lève sur un matin déjà éclairé : la terre blanche a gardé sa lumière durant toute la nuit, faisant de mon décor familier un nouveau territoire.
Depuis deux jours, les flocons sont venus un à un se poser sur les branches graciles ou massives et ont fini par avoir le dessus. Rien n’échappe à leur présence. Tout ploie comme si ces kilos de coton pouvaient avoir une autre réalité que leur extrême légèreté.

Hier je suis rentrée à pied, traversant des rues méconnaissables sous un feu nourri de boules de neige ajustées. Des adultes aux yeux brillants jouaient aux enfances d’autrefois. Les luges étaient de sortie. C’était noël sous les étoiles.

J’aime quand l’hiver ressemble à l’hiver, quand chaque période me rappelle la chance que j’ai de vivre dans la ronde des quatre saisons, avec chacune ses couleurs, ses odeurs,

Camille Pissarro, l’humble géant

Camille Pissarro ne savait pas qu’en peignant ce qu’il avait sous les yeux, il nous laissait un monde qui allait bientôt disparaître. C’est bien là le signe d’un grand artiste : montrer le réel avec toute la palette de son âme

Cher humble et colossal Camille,

Trois musées franciliens nous ont fait cette année le cadeau de présenter votre travail :
La paysanne surveillant sa vache
Le berger sous sa houppelande qui regarde la vague de ses moutons passer le col
Les marchés où chaque petit étal raconte la vie de celui qui le tient
La foire aux bestiaux où chacun espère avoir le plus gros
La boniche de ferme, de bar, de bourgeois, qui balaie, tête basse, sous la table. Sur toutes ces toiles déjà la même tête, la même table, la même attitude résignée, comme un mauvais présage

Et toutes vos femmes avec leurs mains calleuses,

Pourtant, que la montagne est belle…

Sur le seuil de son chalet, il propose aux rares randonneurs un petit verre. Il a 70 ans, ou peut-être 45, difficile à dire. Pour qui a l’habitude des visages des villes, ceux des montagnes sont des énigmes. Peau tannée, dents du bonheur, corps sec et noueux, il tend son sourire à qui veut partager ce moment avec lui. C’est l’heure de la pause, c’est ainsi, il commence le matin tôt par l’heure de la traite, puis vient l’heure du beurre, l’heure du poulet, l’heure du fromage avant la dernière traite, et enfin l’heure de rentrer les bêtes et dormir au bord de leurs corps chauds. « Depuis qu’ils ont remis les loups, je dois rentrer les bêtes », il dit cela comme s’il parlait de l’orage ou de la neige, un loup pas plus gros qu’un flocon noir.

Sur sa porte, sur ses murs,

Le Levant au couchant fait danser les corps nus

Le Levant ? C’est une ile où les cigales chantent la beauté du monde. C’est une ile où il fait bon vivre avec un minimum à l’ombre des eucalyptus. C’est une ile qui nous séduit pour peu qu’on y pose un pied. C’est une ile où mon âme de poètesse ne pouvait qu’accoster un jour. C’est une ile d’Hyères et d’aujourd’hui…

Le soleil couchant du Levant fait danser les corps nus
Ils marchent au bord des vagues sur la plage encore bleue
D’autres sur les rochers rouges contemplent la beauté du monde.

À Héliopolis tout est évidence, la présence et l’absence
Absence de vêtements, de voitures, de banques et d’origine sociale
Présence de chacun à l’autre, de son corps à soi-même
D’une douceur de vivre inconnue et charmante
Sur de discrets panneaux de bois,