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Pourtant, que la montagne est belle…

Sur le seuil de son chalet, il propose aux rares randonneurs un petit verre. Il a 70 ans, ou peut-être 45, difficile à dire. Pour qui a l’habitude des visages des villes, ceux des montagnes sont des énigmes. Peau tannée, dents du bonheur, corps sec et noueux, il tend son sourire à qui veut partager ce moment avec lui. C’est l’heure de la pause, c’est ainsi, il commence le matin tôt par l’heure de la traite, puis vient l’heure du beurre, l’heure du poulet, l’heure du fromage avant la dernière traite, et enfin l’heure de rentrer les bêtes et dormir au bord de leurs corps chauds. « Depuis qu’ils ont remis les loups, je dois rentrer les bêtes », il dit cela comme s’il parlait de l’orage ou de la neige, un loup pas plus gros qu’un flocon noir.

Sur sa porte, sur ses murs, sur ses volets, des textes nous accueillent, de lui, de Socrate, de Verlaine : « Le père de mon arrière-grand-père a posé la première pierre », c’est écrit au dessus du chambranle, 1852. C’est la seule date, le reste ce sont des mots, les siens. Il reste là jusqu’en septembre, au milieu aujourd’hui des pistes de la station en plein essor. Puis il descend dans la vallée, pour l’heure des pommes, des poires, pour toutes ces autres heures qui l’attendent là-bas, dans le village.

Il me tend un verre, rempli de génépi, c’est du bon vous pouvez y aller, je le fais moi-même : il me montre la plante séchée dont il extrait son alcool des cimes. L’autre bouteille, il la cache, il sert en tenant l’ensemble dans un grand sac de toile : ça c’est du fort, vous m’en direz des nouvelles. Je décline l’offre et le remercie, j’ai déjà du mal avec le premier. Une seule femme à côté de moi, elle tend son verre, elle lui plait:

  • Vous venez d’où ? il demande.
  • De Vendée, elle répond.
  • Houlà, c’est loin ça.
  • Oui, mais avant j’étais en cure à Aix-les-Bains, c’est bien et pas cher, enfin c’est la sécu qui paye hein. C’est pour mon dos, ça fait onze ans que je fais ça.
  • Et ça y fait mieux ?
  • Oh je sais pas, mais j’y ai droit alors hein, pourquoi s’en priver !

Le vieux montagnard repose, en pliant les genoux, ses bouteilles sur le seuil de sa maison. Cela fait longtemps qu’il sait que le monde va à vau-l’eau. Il le voit tous les jours en regardant descendre le long des pentes, comme des fous, les hommes scarabées sur leurs vélos électriques. Cet hiver il y avait peu de neige, cet été il n’y aura bientôt plus ni herbe ni fleurs. Les hommes de la station sont inquiets : comment vont-ils remplir tous ces lits à la saison prochaine ?

Jean Ferrat avait raison, c’est sûr, l’automne est déjà là.

Je souris et le salue. Je ramasse mon sac à dos et reprends ma marche sur les chemins en gardant au creux du cœur les derniers mots tracés sur le bord du toit « Si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs. Mario Vargas Llosa ».

Avec toute mon amour pour nos montagnes,

1 Réponse
  • Marie Riffault
    août 10, 2017

    Et oui la marche c’est pas fait que pour les chiens, n’est-ce-pas ? Mais la montagne sera encore là longtemps après notre départ. Il faut l’espérer et plus encore y croire. L’espoir fait de jolis bouquets….